mardi 30 octobre 2012

Trois petites précisions pour M. Ronald Semelfort

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Suite à l’intervention de M. Semelfort à l’émission de «Ranmase » sur les ondes de radio Caraïbes le samedi 27 octobre 2012, sur la réduction du nombre de victimes des inondations au Bangladesh, le geste du Président de la république en se transformant en agent de sécurité civile municipal et l’alerte précoce, j’estime important d’apporter ces trois petites précisions suivantes pour le météorologue :
1) la réduction du nombre de victimes des inondations au Bangladesh
Le Bangladesh est un pays situé à faible altitude et qui a un réseau hydrographique impressionnant, il compte plus de 230 cours d’eau. Les inondations ont été, depuis toujours, les catastrophes naturelles les plus importantes et les plus dévastatrices que le Bangladesh ait connues. La catastrophe dont parlait M. Semelfort dans l’émission remonte à 1970, c’était le cyclone de Bhola qui avait fait, selon les sources, 300.000 à 500 000 morts.
Le pays, depuis lors, malgré son faible niveau économique, a consenti des efforts considérables pour réduire sa vulnérabilité. Par exemple, en 1988 les crues (bien que plus faibles que celles qu’avait provoqué le cyclone Bhola) ont fait 2379 victimes, 10 ans plus tard elles ne touchaient que 1000 personnes et 800 en 2004 (1). L’alerte précoce qu’avançait M.Semelfort pour expliquer la baisse des victimes a effectivement joué un rôle important, mais ce n’est nullement le principal élément à la base de ce progrès considérable, comme voulait le faire croire l’invité.
Le Bangladesh a su prendre tout un train de mesures pour arriver à cette réduction remarquable de sa vulnérabilité, même quand il reste beaucoup à faire dans le domaine. Quelques exemples de ces mesures :
- une politique nationale de protection de l’environnement et de gestion des catastrophes, (ils ont même créé un Ministère de l’Alimentation et de la Gestion des catastrophes),
- la création du Centre de prévision et d’alerte des inondations (CPAI),
- des études conjointes ont été menées par des groupes de travail indobangladais, bangladeshi-népalais et bangladeshi-bhoutanais, nommés par les différents gouvernements. Ces groupes de travail ont recommandé une diffusion quotidienne des données hydro-météorologiques (précipitations, niveau des eaux dans les sections critiques des fleuves, à une large échelle entre le Bangladesh et l’Inde, entre le Bangladesh et le Népal, et entre le Bangladesh et le Bhoutan, de manière à mieux prévenir les inondations, avec un délai suffisant pour permettre, d’une part aux populations d’être alertées raisonnablement à l’avance des risques encourus et, d’autre part, une mobilisation efficace des responsables de la gestion des crues ¬(2).
- des efforts pour diminuer la croissance de la population et l'incidence de la pauvreté. La proportion de la population vivant sous le seuil national de la pauvreté a chuté à 40 % en 2005, par rapport à 59 % en 1991 (3),
- la création d’un plan d’action incluant l’Inde et le Népal afin de développer des approches locales.
Il fallait ajouter ces éléments, M. le météorologue, pour expliquer pourquoi le nombre de victimes a diminué au Bengladesh. Ce n’était pas du tout à cause d’un président avec un mégaphone donnant des alertes.
2) le cas du président Michel Martelly avec son mégaphone donnant l’alerte aux populations
Si pour vous, M. Semelfort, cette action est une bonne chose pour la prévention, j’ai le regret de vous informer que c’est une très mauvaise chose, cette démarche en dit long sur la préparation de notre collectivité face aux catastrophes. Le président de la république, dans son rôle de chef de l’Etat, peut toujours lancer un appel à la vigilance à la population, mais le spectacle qu’il a offert c’était de la pure démagogie et vous le savez. L’alerte est une action qui relève exclusivement des structures municipales de sécurité civile, car il y a tout un ensemble de dispositions et de mesures (que je me garde d’énumérer ici) qui doit à la fois précéder et suivre l’alerte. Donc, il ne revient ni au président, ni au premier ministre ni même à un ministre de faire le porte-à-porte pour donner l’alerte en cas de crise. En matière de sécurité civile, les rôles et les activités doivent être assumés et réalisés de manière responsable et ordonnée selon un niveau hiérarchique précis, car les responsabilités doivent être partagées. D’où l’urgente nécessité de doter les municipalités de moyens (financiers, légaux et autres) pour qu’elles puissent assumer enfin leurs rôles dans le domaine de la sécurité civile et dans tous les autres domaines fixés par la loi.
3) les alertes aux populations
4) Tenant compte de l’importance des alertes et de tout ce qu’elles impliquent comme décisions avant, pendant et après une catastrophe, le pays ne doit pas attendre le centre météorologique de Miami pour lancer ses alertes à la population. Les catastrophes hydrométéorologiques de 2004 aux Gonaïves et celles que l’on vient de vivre, pour ne citer que ces deux exemples, en sont les preuves. Car les modélisations dans ces deux cas étaient très claires, elles montraient le danger à venir pour Haïti spécialement (vu sa très grande vulnérabilité) avec le déplacement d'énormes masses nuageuses remplies de vapeur d'eau.
Il est un fait que les cyclones sont des phénomènes sous haute surveillance. La coordination de cette veille cyclonique est assurée au plan international par l'Organisation Météorologique Mondiale (OMM) qui désigne dans chaque bassin océanique un centre météorologique régional spécialisé (CMRS)*, certes, mais ces centres régionaux travaillent en coopération avec les centres de météorologie des pays concernés, qui, eux-mêmes, ont la responsabilité d'informer leurs populations et de déclencher des alertes. Donc, on n’est pas obligé d’attendre le feu vert du centre météorologique de Miami pour déclencher une alerte en Haïti, considérant notre niveau de vulnérabilité extrême dans la région, car quelques millimètres de pluie représente, pour nous, un risque non négligeable.
Une situation météorologique qui recommande le déclenchement d’une alerte jaune pour la région exige l’alerte rouge pour Haïti au moins sept fois sur dix. Une situation dépressionnaire sans grand danger pour les autres pays de la caraïbe peut nécessiter pour nous une condition d’alerte jaune, c’est ça notre réalité. D’où l’intérêt d’équiper et de renforcer le centre de météorologie du pays. C’est ce qu’a fait le Canada en créant, en 1987, le Centre canadien de prévision des ouragans qui est une source d'information spécialisée sur la manière dont les cyclones tropicaux touchent le pays, c’est aussi le cas de Cuba avec l’Institut météorologique qui gère ses propres informations et qui traite celles du centre de Miami selon la réalité du terrain.
Il faut donc avoir le courage de dire aux autorités qu’on ne gère pas ainsi les risques et les catastrophes. Leurs actions ne sont que de la poudre aux yeux, au contraire elles ne font qu’aggraver la vulnérabilité du pays en affaiblissant encore plus les collectivités territoriales.

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